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Quand Lara rencontre Kurtis

Quand Lara rencontre Kurtis, Chapitre 7, par Andromaque, le 10 janvier 2005.

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Chapitre 7

L'assaut de la bête avait été fulgurant et dirigé vers sa victime avec une précision redoutable. Une traction vive sur la cheville droite de Lara lui avait fait perdre l'équilibre, ainsi que la machette qu'elle avait empruntée à Kurtis. Elle était parvenue cependant à agripper fermement un des arceaux de racines aériennes au moyen d'un bras, et avait lutté de toutes ses forces afin de récupérer l'arme dont la lame avait été se ficher dans l'écorce épaisse à quelques pouces au-dessus de sa tête. A l'instant où ses doigts avaient pu en saisir le manche, un deuxième étau s'était également refermé sur son cou. Dans le prolongement du tentacule, une bouche circulaire hérissée de trois rangées de dents acérées ondulait devant les yeux de la jeune femme. Le visage cramoisi, au bord de la suffocation, elle avait fendu l'air de la lame dans un suprême effort et tranché la gueule visqueuse qui s'apprêtait à la happer. Le membre blessé était devenu aussitôt inerte, et l'anneau autour de la jambe s'était faite lâche avant de rejoindre sous les flots la tête qui venait de sombrer.
A nouveau plantée solidement sur son perchoir, Lara s'était maintenue prête à parer, au besoin, une seconde attaque. Tout en reprenant son souffle, elle avait scruté la surface de l'eau jusqu'à ce que les remous qui l'animaient s'étaient amenuisés progressivement jusqu'à extinction. La bête semblait avoir eu son compte. Une fois le danger visiblement écarté, elle avait jeté un oeil en direction du rivage où son compagnon était sensé se tenir prêt à intervenir. Elle fulminait. Kurtis semblait s'être volatilisé. « Mais où était-il passé ? ».
Lara s'était remise en marche vers la terre ferme, lorsqu'à mi-chemin, l'eau du lac avait soudain recommencé à frémir.
Quatre tentacules avaient surgi brusquement des flots, emprisonnant dans la seconde qui suivit bras et jambes de l'aventurière, la rendant cette fois totalement à la merci de son agresseur. Le lacis de flagelles gigantesques au sein duquel elle se débattait désespérément l'avait soulevée dans les airs, l'arrachant définitivement à son support, tandis qu'un bulbe flasque rosâtre de plus de douze pieds de large venait d'émerger du bouillon écumeux né au-dessus de la tache sombre qu'elle avait repérée deux jours plus tôt. L'organe présentait une multitude d'appendices oculaires qui semblaient loucher sur la captive. Tout d'abord immobilisés face à cette dernière, ils avaient subitement été animés de violents tortillements.

Grimé de la tête aux pieds et tapi dans l'ombre de la végétation, Kurtis s'était fondu parmi le décor lacustre attendant patiemment que la bête se manifestât. Lors de la première apparition, il avait été sur le point de se décider à venir à la rescousse de sa compagne, lorsqu'au dernier moment, il avait pris le risque de s'abstenir voyant qu'elle paraissait à même de pouvoir se tirer d'affaire seule. Il s'en était même félicité dans les minutes qui suivirent et qui lui avaient offert une bien meilleure opportunité, car toujours à son poste, il avait pu ainsi voir ressurgir la créature sans méfiance et profiter de son accès de curiosité momentané pour cribler de flèches ce qui se révéla être son point vulnérable. Cependant, Kurtis pestait. Le carquois vide, la bête n'avait toujours pas succombé et avait entamé sa retraite, emportant la jeune femme dans son immersion. Il ne lui restait plus qu'une solution. Sans perdre une seconde, avec tout le sang froid dont il disposait, il avait armé son arbalète avec le harpon auquel il avait relié le filin de son grappin et avait visé une ultime fois la membrane rose et molle avant qu'elle ne disparût entièrement sous la surface. Puis se saisissant de l'autre extrémité de la corde, il avait couru le plus rapidement qu'il avait pu vers les arceaux de bois en bordure du lac afin d'y fixer le grappin. Il les avait presque atteints lorsque la trop forte pression exercée sur le filin par la bête fugitive l'avait empêché de conclure l'opération.
Kurtis avait plongé. La descente au coeur du tourbillon vaseux créé sur le passage de la créature agonisante avait été extrêmement rapide. La corde enroulée à son poignet l'avait tracté jusque dans les fonds troubles du lac où elle était venue mourir. Il avait cherché brièvement le corps de Lara dans les alentours sans succès, puis avait entrepris de retourner vers la surface car l'air venait à lui manquer, quand soudain, il avait senti quelque chose frôler son dos. Tâtonnant fébrilement d'une main la gaine de son couteau, il s'était retourné vers son assaillant afin d'engager la lutte, mais il avait aussitôt suspendu son geste après avoir reconnu sa compagne. Elle lui indiquait la direction vers une lumière bleutée et lui faisait signe de la suivre.
La lumière provenait d'un portail de pierre démesuré et surmonté d'un fronton à archivoltes ornementées de gravures anciennes qu'il avait reconnues sur le champ. Il commençait à suffoquer cependant et il avait voulu avertir la jeune femme qu'il comptait remonter, mais elle l'avait retenu par le bras et l'avait invité avec insistance à poursuivre au-delà de l'arche. Elle l'y avait précédé afin de lui montrer quelque chose. Sitôt convaincu, il l'avait imitée.

A peine avait-il franchi l'arche, qu'il avait pu constater aussitôt par lui-même que celle-ci semblait faire office d'écran à l'élément aqueux vers une zone où régnait de l'air similaire à la surface, à la différence près que cet air-ci était d'une froideur extrêmement agressive, lui blessant ses poumons qui la réclamaient cependant ardemment. Kurtis tenta d'éprouver la texture de l'interface qu'ils venaient de franchir, mais le passage se révéla être à sens unique. Il ne leur était plus possible de faire marche arrière.

Les murs de la salle, pareille à un vaste hall circulaire, étaient entièrement recouverts d'une glace épaisse et translucide, et les colonnes qui semblaient soutenir une toiture céleste et invisible étaient richement sculptées dans la glace également, figurant trois guerriers titanesques armés d'épées monumentales. Ces êtres, revêtus d'armures sublimes, avaient des allures anthropomorphes, si l'on prenait néanmoins la peine de négliger leurs quatre pairs de bras puissants et leurs visages dissimulés derrière de heaumes magnifiques. Une aura bleutée baignait la pièce conférant au lieu l'aspect d'un sanctuaire paisible et peut-être jusque là, inviolé. Une porte scellait l'enceinte et présentait deux couloirs de part et d'autre. Le premier émettait une lueur violette, tandis que le deuxième des lueurs rougeoyantes. Ce dernier d'où irradiait une chaleur doucereuse leur avait paru plus avenant et ils s'y étaient engagés.
Le couloir menait vers une immense grotte qui à la plus grande surprise du couple semblait avoir été le lieu de résidence d'une ancienne peuplade primitive dont les demeures avaient été bâties à même les flancs d'une roche poreuse. Des échelles de bois y étaient encore ancrées, mais les lieux étaient déserts. Au loin, se profilait néanmoins un autre vaste couloir, mais celui-ci était hors de toute portée car accessible uniquement par un pont détruit qui avait dû autrefois enjamber une ancienne rivière souterraine qui semblait avoir fait place depuis plusieurs décennies à une rivière de lave.

Kurtis était parti explorer les habitations une à une afin de tenter d'y dénicher un quelconque indice pour la poursuite de leur périple ou à défaut, du matériau pour se reconstituer une réserve de flèches artisanales qui lui faisaient cruellement défaut au vu de son arsenal plus que réduit.
Quant à Lara, elle s'en était allée inspecter l'autre couloir où la même atmosphère glacée du hall d'entrée l'avait poursuivie jusqu'à son terme.

La lumière violette provenait d'une colonie de champignons phosphorescents recouvrant presque l'entièreté des parois de la grotte. Cette dernière avait vraisemblablement servi de lieu de culte à l'ancienne peuplade qui avait jadis habité les lieux voisins. Sur un large plateau circulaire trônait ce qui avait dû servir autrefois à un autel sacrificatoire. Des petits tas d'ossements épars gisaient ça et là aux alentours et quatre crânes indubitablement humains en émergeaient indiquant clairement la funeste fonction du monument. Tout autour de la plateforme rayonnaient de petits monticules de pierres couronnés d'urnes en céramique peinte. Quelques unes étaient brisées et laissaient apparaître leurs contenus : ornements et objets qui avaient dû probablement appartenir aux défunts qui reposaient là. Un peu en retrait se situait une colonne de pierre, similaire à un totem haut de douze pieds et représentant une pile de têtes animales étranges garnie à l'arrière de trois pattes de métal. Les membres semblaient amovibles et Lara en activa un. L'une des têtes opéra un quart de tour latéral. Attentive à tout événement que cette action pouvait être susceptible d'engendrer, elle observa patiemment tout ce qui l'entourait durant quelques minutes, mais le levier ne semblait avoir produit aucun autre effet. Le second qui fit glisser une autre tête n'en eut pas davantage, ce qui amena la jeune femme à penser que le temps en avait peut-être enrayé le mécanisme. Mais sa présomption fut rapidement balayée lorsque le troisième levier provoqua en sus une bruyante avalanche de mugissements provenant du couloir qui l'avait menée vers les lieux. Lara s'y était précipitée aussitôt pour constater que des murs du couloir, s'étaient dressés une multitude de piliers hérissés de pieux surgissant tantôt du plafond, tantôt du sol et des murs, alternant à un rythme effréné. Elle retourna vers le totem afin d'effectuer l'opération inverse, mais la manipulation ne stoppa aucunement la sarabande mortelle qui l'avait manifestement piégée dans ce sanctuaire au passé sanglant.

Kurtis avait exploré les anfractuosités naturelles de la caverne qui avaient été converties en demeures. Elles étaient pour la plupart vides ou contenaient de petites poteries de factures irrégulières qui ne pouvaient lui être d'aucune utilité. Ce fut dans la dernière, située à proximité de la rivière qu'il fit l'heureuse découverte d'une palette de hameçons de métal suspendus sur un vieux panneau de bois. La chaleur avoisinante avait conservé l'intégrité des petits objets, mais le bois pourri et sec du panneau s'était effrité à son contact. Kurtis avait ramassé les hameçons puis était sorti pour s'apercevoir, stupéfait, que la lave qu'il avait vue couler un instant plus tôt avant son entrée dans la demeure du pêcheur, avait fait soudain place à de l'eau. Il s'était mis alors à la recherche de sa compagne qui l'avait quitté depuis un moment qu'il jugea anormalement long. Lorsqu'il eut atteint le milieu du couloir menant au grand hall, un vacarme assourdissant et continu avait rompu le silence qui y avait régné jusque là.

« Les têtes effectuaient des quarts de tours, ce qui constituait soixante-quatre combinaisons et l'une d'entre elles devait certainement servir à stopper ce qu'elle avait enclenché » avait rapidement déduit Lara. Elle s'était saisie d'un caillou afin de graver des repères, puis s'était attelée à les composer toutes, une à une scrupuleusement.

Kurtis avait découvert avec effroi l'origine du chamboulement dont il suspectait sa compagne d'en être l'auteur. Il tentait d'apercevoir cette dernière par-delà les faisceaux de dangereux pics qui se dressaient par intermittence dans le couloir où elle semblait avoir disparu, quand soudain, une ombre menaçante s'était abattue sur lui.

Le grondement du mécanisme avait couvert les bruits de craquements et de crissements qui étaient nés derrière l'homme à son insu. Cependant les violentes vibrations arythmiques du sol qui avaient suivi avaient alerté celui-ci et lui avaient permis d'esquiver le coup meurtrier qui lui avait été destiné. Il avait plongé sur le sol et effectué une roulade pour faire face à son agresseur et il avait été stupéfait de découvrir que l'une des statues de glace géantes s'était soudain animée et avait quitté sa place afin de le pourchasser. Kurtis avait tenté de riposter au moyen de sa machette, mais cela n'avait eu que pour seul effet d'entailler la chair de glace de son adversaire qui se cicatrisait presque instantanément. Le guerrier de givre aux huit bras, armé de son épée de même nature enchaînait les coups avec une vitesse foudroyante qui n'offrait plus à l'homme qu'une retraite vers le village souterrain.

Kurtis avait tenté de chercher refuge dans l'une des cavités qu'il avait visitées plus tôt, mais le géant avait brisé avec la plus grande aisance la fine paroi qui l'abritait, anéantissant ce qu'il avait estimé être son unique chance de lui échapper. Au bout d'une dizaine de minutes de courses incessantes aux quatre coins de la grotte, Kurtis s'était vu finalement acculé sur la rive du torrent. Etendu de tout son long, désarmé, ne voyant d'autre issue que de le franchir ou bien de succomber sous la lame du colosse prêt à frapper une ultime fois, l'homme avait rampé le plus près possible du courant, s'était laissé glisser le long du bord et s'y était maintenu agrippé, hésitant néanmoins à y plonger, ce qui s'avérait pourtant être son seul salut.
La position de Kurtis le maintenait temporairement à l'abri des coups que la statue avait redoublés. Réalisant assez rapidement son insuccès, cette dernière avait sauté dans la rivière afin d'avoir à nouveau l'intrus à sa portée. Le colosse avait pied et n'était que peu déstabilisé par le flux. Il s'approchait inexorablement vers sa proie qu'une force inconnue le poussait à anéantir, lorsque brusquement une onde de chaleur avait précédé la lave brûlante dont le cours avait repris sa place antérieure. Le corps du géant de glace se disloquait à mesure qu'il avançait vers Kurtis, poursuivant toujours sa traque avec obstination et laissant échapper une vapeur fumante, indice du bain torride et fatal qui le faisait fondre sans concessions.

« Une seconde de plus, et il était cuit » se dit Kurtis qui avait projeté de plonger dans l'eau dans un dernier recours. Et c'était peu de le dire, mais il avait eu chaud également, tandis qu'il s'était hissé sur la rive, le front en nage et les pieds presque en feu. Dès qu'il eut récupéré sa machette, il s'était précipité vers le hall de glace afin d'y apaiser les brûlures que le flot de braises lui avait infligées sur les jambes. C'est alors qu'il s'aperçut que le premier couloir était à nouveau accessible. Il scruta tout d'abord un signe de vie de sa compagne à l'entrée avant de se résoudre à s'y engager avec la plus grande prudence.

Lara en était à sa trente-septième combinaison, lorsque enfin, le mécanisme diabolique daigna mettre un terme à son ballet meurtrier. Elle en prit rapidement note dans son carnet, avant de se mettre à la recherche de Trent pour lui en faire part, mais elle vit que ce dernier l'avait devancée, marchant à sa rencontre, boitillant, la vareuse poussiéreuse et dont il sembla qu'une poche venait d'avoir été arrachée.
« - Que vous est-il arrivé ? » demanda Lara.
Il paraissait subitement être devenu muet, car pour seule réponse, il avait agité son pouce en direction du couloir avant de s'effondrer tel un pantin désarticulé aux pieds de l'autel où la jeune femme se tenait. Elle avait remarqué également la tache de sang qui sourdait de son vêtement à l'endroit de la poche arrachée.

Lara avait examiné les ossements humains à côté de l'autel et au moyen de son dateur couplé au mini-compteur Geiger emprunté à Trent, elle était parvenue à les dater approximativement. Le dispositif lié aux leviers de la salle aux sépultures ne pouvait nullement être l'oeuvre d'hommes primitifs. Soit les derniers occupants n'en étaient pas, soit il leur était antérieur, ce qui apparaissait d'un étrange anachronisme dans ce lieu confiné où ne demeurait plus âme qui vive depuis une bonne centaine d'années.

Après avoir taillé quelques blocs de glace dans la salle où régnait toujours le froid polaire qui avait accueilli le couple la veille, la jeune femme les avait transportés vers le village rupestre où elle avait conduit son compagnon. Ce dernier était toujours inconscient et victime d'une forte fièvre, bien qu'elle eût soigné et pansé sa blessure dont l'origine lui était encore mystérieuse, tout autant que la disparition d'une des trois statues. Il délirait à présent, émettant des bribes de phrases incohérentes.

La glace fondait relativement vite à proximité de la source de chaleur que constituait la rivière de lave. Les petits pots et creusets de terre cuite qu'elle avait dénichés dans les cavernes et qu'elle avait destinés à en recueillir l'eau commençaient à déborder. Lara les remplaça par d'autres, avant de s'en retourner, munie cette fois d'une torche, vers la salle où demeurait toujours la porte close. Celle-ci avait été aussi sculptée dans une glace épaisse. Aucune serrure ou autre éventuel mécanisme manuel ne semblaient pouvoir l'activer, mais en l'observant de très près, Lara remarqua que l'intérieur était nervuré d'entrelacs de conduits multiples. « A quoi pouvaient-ils bien servir ? » se demandait-elle, lorsque l'écho de son nom avait retenti soudain jusqu'à elle. Trent venait de se réveiller.

La fièvre de Kurtis venait enfin de tomber. Il eut quelques difficultés à rassembler ses souvenirs, mais une petite douleur encore persistante à sa poitrine lui avait rappelé aussitôt l'incident désagréable de la veille. Il avait extrêmement soif.

« - Tenez » fit Lara en lui tendant une gourde emplie. Elle attendit qu'il se fut désaltéré pour poursuivre. « Pourriez-vous me dire qu'est-ce qui vous a mis dans un pareil état ? »
Les propos de son compagnon concordaient avec la disparition de la statue, et elle en avait aussitôt conclu que les diverses combinaisons qu'elle avait composées la veille avaient probablement été à l'origine des phénomènes. Une idée venait de germer dans l'esprit de l'aventurière, et elle voulait aller vérifier quelque chose. « Avez-vous toujours le grappin?» demanda-t-elle.
« - Non, mais je pourrais facilement en fabriquer un nouveau avec les hameçons que j'ai trouvés ici. » répondit Kurtis. « Il suffirait que je puisse les porter à très haute température pour leur donner la forme adéquate » ajouta-t-il en lançant un regard du côté de la rivière.

Il avait fabriqué une perche qu'il estima suffisamment longue pour l'opération voulue, puis l'avait prolongée d'un de ses chargeurs vides où il avait déposé les hameçons de métal. Il versa toute l'eau dont ils disposaient sur la canne de bois avant de l'avancer vers le liquide en fusion pour y plonger le chargeur. Quelques secondes avaient suffi pour porter les métaux à incandescence, propre à les malléabiliser.
« - Voilà ! Nous avons un nouveau grappin » dit-il avec fierté une fois l'opération terminée. « Par ailleurs, j'ai déjà deviné vos intentions. Mais qu'espérez-vous trouver de l'autre côté ? »
« - Une sorte de vanne ou un dérivateur... Mais avant de s'y aventurer, il faudrait que l'un de nous deux ailler actionner les leviers dans la pièce à côté pour remplacer comme hier la lave par l'eau. Et vu votre état actuel, je me désigne d'office aux exercices d'acrobaties. J'ai noté les combinaisons dans mon carnet. Il suffit que vous procédiez exactement comme je l'ai indiqué. »
Tout en se dirigeant vers son lieu d'affectation, Kurtis grommelait. L'idée que la jeune femme l'avait presque qualifié d'infirme l'exaspérait, car pensa-t-il « il était tout autant qu'elle, apte à ce genre de prouesse physique, et ce n'était pas ses petites égratignures qui pouvaient le rendre invalide d'une quelconque manière... ». Il en était là dans ses réflexions lorsqu'il avait retraversé pour la énième fois le hall et avait remarqué qu'à la place de la colonne qui faisait désormais défaut avait pris naissance un stalagmite déjà aussi haut que sa propre taille, nourri par de l'eau semblant suinter du plafond invisible et qui gelait quasi instantanément au contact de la masse informe. Mais il n'y prêta guère plus d'importance. Il avait repris sa litanie de protestations, tandis qu'il rejoignait à contrecoeur son poste qui lui avait été assigné.

La machine infernale avait recommencé sa symphonie barbare à la cadence de ses instruments mortels, tandis que l'eau avait à nouveau afflué dans le lit de cendre. Son passage en fut ainsi plus qu'aisé pour la jeune femme qui, grâce au cordage arrimé sur les deux rives, l'avait franchi en moins de cinq minutes. Il s'agissait d'une nouvelle salle comme elle l'avait supposé. Son sol était creusé de trois larges canaux parallèles et à son hauteur, deux orifices étaient apparents mais ils ne leur faisaient pas du tout face. Près du mur du fond, deux leviers en étaient les uniques ornements. Le premier eut pour effet de faire apparaître trois canaux transversaux aux premiers et le second avait activé la plaque tournante où étaient rivés à présent les six canaux. Lara était parvenue à l'orienter de telle manière à faire concorder les orifices avec deux des canaux extérieurs. Satisfaite de cette manipulation qui ne lui avait pris que quelques secondes, elle avait entrepris son retour dans la salle aux cavernes. Cependant elle eut la désagréable surprise d'y découvrir que son geste avait eut également pour effet de tirer de leurs sommeils séculaires les deux autres colosses de glace qui lui barraient à présent le passage qui menait au couloir. Vive comme l'éclair, Lara avait foncé tout droit et piqué un sprint vers ce dernier. Les géants s'étaient retournés aussi vite que leur permettaient leurs masses imposantes et s'étaient violemment heurtés, ce qui les avait fait choir. Mais cela n'avait nullement suffi à les mettre hors d'état de nuire car ils s'étaient relevés aussitôt pour poursuivre leur tâche. Lara avait presque atteint le hall lorsqu'elle vit qu'elle y était attendue également par le troisième colosse qui semblait avoir ressuscité, mais auquel curieusement, il manquait la tête. Elle avait tenté de le cribler de balles, mais celles-ci n'avaient visiblement aucun effet sur lui. Lara courait et bondissait autour de lui pour le frapper sur ses flancs, le déstabilisant quelque fois, mais le géant de glace perpétuait sa traque avec acharnement jusqu'à ce que subitement, il avait suspendu ses gestes et paradoxalement s'était rué vers ses deux congénères qui venaient de les rejoindre. Elle ne connaissait pas la raison qui lui avait fait perdre la tête, mais par bonheur, son revirement lui fut d'un grand secours. « Pourvu qu'il tienne encore quelques minutes » pria Lara, tout en vérifiant le chronomètre de sa montre.

« Lara Croft avait une écriture de pattes de mouche, quoiqu'il admettait qu'il était tout de même très mal aisé d'écrire convenablement par le froid qui régnait dans la salle de sépultures... Encore trois minutes, et il devait arrêter le mécanisme » pensa Kurtis. Tandis qu'il attendait le moment convenu, il s'était promené parmi les rangées de tombes, et l'une d'elle, plus petite, avait attiré son attention. L'urne brisée qui la surmontait laissait entrevoir un petit jouet d'ivoire. Celui d'un enfant probablement. Il s'était penché pour le ramasser, lorsque tout à coup, les pierres du champ de tombeaux avoisinants avaient commencé à s'agiter d'une façon inquiétante.
Il n'avait détecté aucun signe d'un tremblement de terre, et cette effervescence soudaine des pierres mortuaires ne présageait rien de bon. Il avait redéposé aussitôt l'objet qu'il supposait être à l'origine du bouleversement, mais son dernier geste n'eut aucune incidence sur ce qu'il pensait avoir provoqué involontairement et qui poursuivait toujours son cours. Il avait hâte de quitter l'endroit, et les deux dernières minutes qu'il devait laisser s'écouler avant de réactiver les leviers lui parurent les plus longs et les plus pénibles qu'il eût jamais connues.

Les pierres s'étaient mise à flotter dans les airs, mues par une force obscure, puis s'étaient amassées en une nuée unique tourbillonnante et menaçante dont la seule existence semblait n'être destinée qu'à châtier l'insolent qui avait osé violer leur sanctuaire. En tous cas, ce n'était pas Kurtis qui allait infirmer cette dernière hypothèse, car il en était désormais devenu la cible, et avait entamé une course folle à travers le cimetière afin d'échapper à la lapidation dont il faisait l'objet. Dans sa fuite aveugle, il avait trébuché sur l'une des urnes qui s'était brisée sur son passage. C'est alors qu'un lot de pierres volantes s'était désolidarisé du groupe et était retombé sur le sol au même instant comme si elles avaient été vidées de l'énergie qui les avait animées plus tôt pour recouvrir leur état de vulgaires pierres. Kurtis n'avait guère mis longtemps pour faire le rapprochement. L'énergie du désespoir avait transformé sa douleur physique en fureur, et au moyen de sa machette, il s'était aussitôt mis à fendre tous les pots qu'il trouvait sur son chemin, jusqu'au dernier. Il était écorché de la tête aux pieds, mais il était finalement parvenu à stopper son supplice.

« Si Trent avait bien suivi ses indications à la lettre, ils allaient bientôt pouvoir franchir la porte ». Lara avait eu le temps de voir avec joie le liquide de feu commencer s'acheminer dans les nervures de cette dernière, mais sa réjouissance avait été de courte durée, car comme elle le craignait, la statue étêtée avait rapidement succombé face à ses deux adversaires et il n'en subsistait à présent que des débris éparpillés un peu partout dans la salle. Néanmoins cet allié providentiel qui s'était retourné contre ses propres acolytes avait réussi à leur occasionner de lourds dégâts, à tel point qu'à l'un des deux, les bras en étaient littéralement tombés. Kurtis venait de la rejoindre, et encore une fois, il avait l'air d'avoir bataillé contre un régiment. Mais l'heure n'était pas aux explications.

La jeune femme était aux prises avec les deux autres colosses qui, tout comme celui auquel Kurtis avait été confronté la veille, avaient vraisemblablement la tâche similaire d'exterminer toute intrusion. Le premier des deux gardiens, devenu manchot, tentait de la piétiner, tandis que le second s'était tourné subitement vers le nouvel arrivant, et marchait à présent d'un pas déterminé vers lui, l'épée dressée, prête à frapper.

Dès que Kurtis avait fait son apparition dans la salle, il avait entendu sa compagne hurler à plusieurs reprises « La porte ! », en lui indiquant quelque chose sur sa gauche. Il avait remarqué les veines rougeoyantes qui parcouraient le portail de glace, qu'il avait cru jusque là inexpugnable. Il y avait planté sa machette de toutes ses forces mais son arme s'était fichée superficiellement, n'entamant pour le moins du monde la couche de glace qui était encore trop épaisse à sa hauteur et qui n'avait pas encore été visitée par le liquide brûlant. Il tentait d'en extraire sa lame lorsqu'une idée qu'il avait jugée brillante sur le coup avait traversé son esprit, car sa mise à exécution était des plus périlleuses. Après avoir récupéré son arme, l'homme s'était maintenu immobile devant la porte, attendant que le guerrier de glace qui venait à lui assénât son coup meurtrier avant de plonger à la dernière seconde sous ses pieds pour le faire basculer contre le rempart. L'épée du colosse avait fendu la partie supérieure du portail fragilisé par le liquide bouillonnant qui le traversait, et son corps propulsé contre la paroi avait parachevé le travail afin de libérer la lave qui se déversa sur lui, telle une pluie ardente qui le consumait progressivement alors qu'il tentait de se redresser.

La voie était libre. Lara avait abandonné la lutte contre son adversaire estropié pour se précipiter vers l'ouverture, et sans l'ombre d'une hésitation, elle avait franchi le portail entre deux crachins de lave.

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