Chapitre 9
- Tu as une idée pour nous sortir de là,
bien entendu...
- Evidemment, père. J'ai toujours une idée... Et c'est Indiana.
- Quoi ? Mais je n'ai pas dit « Junior » !
- Un réflexe. Ecartez-vous.
Indy s'accroupit face à la serrure de la porte et sortit son passe-partout.
Il commença à oeuvrer pour ouvrir la cellule.
- Pourquoi ne vous a-t-il pas tué, père ? demanda-t-il en travaillant.
- Parce que je suis immortel.
- Je veux dire, que vous veut-il ?
- Mes compétences, bien évidemment.
Indy resta un moment silencieux, concentré sur sa manoeuvre.
- Vous en savez donc plus que vous ne le dites sur Scholomance, reprit-il.
Henry ne répondit pas. Préférant ne pas insister pour le moment, Indy
termina le crochetage et ouvrit la porte de la cellule. Il jeta un coup
d'oeil circulaire à l'extérieur, puis fit signe à son père de le suivre après
lui avoir imposé le silence. Ils montèrent les escaliers ancestraux,
lentement, pour arriver enfin dans le couloir, au rez-de-chaussée du
château. Indy jeta un coup d'oeil précautionneux, mais personne ne semblait
faire attention à eux. Promptement, ils sortirent des catacombes et
rejoignirent un nouveau groupe de touristes, parmi lesquels ils se
fondirent. La visite arrivant à son terme, ils se retrouvèrent dont
rapidement dehors. Ils montèrent dans le car, expliquant au guide qu'ils
avaient raté le précédent. Indy ne souffla que lorsqu'ils quittèrent
l'enceinte du château et qu'ils entamèrent la descente vers la vallée.
- C'était plutôt facile, par rapport à Buchenwald, remarqua Henry. Bon
travail, Junior !
- C'était bien trop facile, Père. On nous a laissé partir.
- Ah ? Et pour quelles raisons ?
Indy se tourna vers son père, une expression sévère sur le visage.
- C'est à vous de me le dire, il me semble...
- Je n'aime pas ce regard, Junior.
- Peu importe. Vous saviez depuis le début que les vols concernaient
Scholomance.
- Non, Junior, je te le jure. J'ai compris après toi, au manoir Croft.
- Alors quoi ? Que me cachez-vous ?
- Certaines informations que je détiens.
- Comme ?
- Comme certaines informations que je détiens.
- Admettons. Alors pourquoi vous laissez partir après vous avoir kidnappé,
surtout s'il a besoin de vous ?
- Je n'ai pas dit qu'il avait besoin de moi, Junior. J'ai dit que je savais
un certain nombre de choses.
- Pour empêcher l'Ecole ?
- Pas vraiment.
- Père, je...
- Non, Junior, c'est inutile d'insister. Excuse-moi, je vais me reposer,
maintenant.
Enfonçant son chapeau mou sur sa tête, Henry Jones ferma les yeux.
***
Alex descendit de l'avion épuisé. Il avait
l'impression d'avoir parcouru le monde en courant, passant d'un point du
globe à l'autre. Sa course l'avait amené jusqu'à Sydney, où il avait d'abord
chercher à se venger. Mais durant le voyage, il avait fini par avoir la
lucidité de reconnaître qu'Indy avait - encore - raison. Une fois sur le sol
australien, il s'était donc contenté d'enquêter, afin de retrouver le
milliardaire responsable de la mort de son amie si chère. Et ses recherches
l'ont de nouveau conduit de l'autre côté du monde, en Roumanie. Exténué, il
venait d'atterrir à Bucarest. Ne parlant pas la langue, et de toute façon,
étant parfaitement démotivé, il se laissa tomber sur un banc, dans le hall
principal et se frotta le visage des deux mains. Il resta prostré une bonne
heure, avant de changer de position. Fouillant dans sa poche, il sortit le
petit écrin et regarda la bague brillante. Il contempla le bijou, refoulant
son émotion.
- Elle est vivante, Alex.
Il leva rapidement les yeux vers Indy, debout près de lui, puis reporta son
regard sur la bague.
- Vivante ou morte, je tuerais Banks, répondit-il enfin, d'une voix lasse.
- Je sais. Mais pas maintenant.
Alex hocha les épaules. Son ami s'assit alors à côté de lui. Ils ne se
regardaient pas et restaient silencieux.
- Tu as encore besoin de moi ? finit par demander Alex.
- Plus que jamais, mon ami. Plus que jamais.
Indy se leva, imité par Alex. Ils se serrèrent la main.
- Alors, quelle est la suite du programme ?
- On surveille, affirma Indy. On épie Banks dans ses moindres faits et
gestes. Nous nous devons, comme pour l'Assemblée, d'être présent au moment
où...
- Parfait, j'adore ce plan. On va par où ?
- Le château de Dracula. Et j'ai retrouvé mon père.
- Ah bon ??? Que ne le disais-tu point !!! Il va bien ?
- Oui, il attend dans la voiture, devant l'aéroport.
- Ok parfait alors !
- Non. On a un problème.
- Ah... En même temps, un seul problème, on s'en sort plutôt bien... Quel
problème ?
- Je ne suis pas sûr que mon père soit dans notre camp... Pas sûr du tout.
***
Un détail l'arrêta soudain. Figée par la
tension nerveuse, elle resta un moment immobile. Puis, lentement, en
tremblant, Lara reposa le couteau et regarda avec attention à l'extérieur.
Le jardinier continuait à ramasser les feuilles mortes. Les feuilles mortes.
Elle n'en revenait pas. Empoignant les roues de son fauteuil, elle fonça
dans sa petite salle de bain. Elle boucha le lavabo et ouvrit l'eau en
grand. Quand la cuvette fut pleine, elle retira le bouchon et regarda l'eau
s'écouler en tourbillonnant. Elle retourna dans sa chambre, au moment où
Nancy revenait. Lara entendit un tour de clé juste avant : c'était la
première fois qu'elle le remarquait.
- Vous allez bien ? s'inquiéta l'infirmière. Vous êtes toute pâle.
- Ca va...
Lara avait le coeur qui battait et son esprit tournoyait. Avec l'aide de
Nancy, elle retourna dans son lit. Le cerveau de la jeune femme était en
ébullition. Elle se sentait confuse, perdue, ne sachant que penser.
L'infirmière posa le dos de la main sur son front, pour vérifier la
température.
- Tenez, Lara, vos cachets.
Elle tendit les deux pilules rouges, avec un verre d'eau. Soudain, Lara ne
fut plus confuse. Son coeur reprit un rythme normal : elle venait de
comprendre. Elle goba les deux pilules et but l'eau, tout en constatant, du
coin de l'oeil, que Nancy regardait l'opération avec intérêt.
- Reposez-vous un peu, Lara, vous avez l'air épuisée.
Elle acquiesça et regarda l'infirmière partir. Une fois enfermée à clé dans
sa chambre, Lara, recracha les deux pilules et les rangea dans le tiroir
près d'elle. Maintenant seule, elle se força au calme, respirant
profondément et calmement. Les feuilles des arbres tombaient, l'eau
s'évacuait dans le sens inverse des aiguilles d'une montre : elle se
trouvait dans l'hémisphère nord. Et non à Sydney, comme l'avait affirmé
l'infirmière. Elle avait donc menti. Cette évidence étant soudainement
apparue à Lara, la jeune femme se rendit compte du reste : les pilules
régulières, la porte fermée à clef, l'absence de visites, etc. Soudain prise
d'un nouveau doute, elle s'assit sur le bord du lit et sauta à terre.
Nancy revint deux heures plus tard, avec les deux pilules rouges et un verre
d'eau. Toujours souriante, elle tendit le tout à Lara. La jeune femme hocha
la tête.
- Allons, Lara, ne faites pas votre enfant, d'un seul coup, reprocha
gentiment l'infirmière. Vous devez prendre votre traitement.
- Non merci.
Prestement, Lara sauta de son lit et se tint debout, sur ses jambes, face à
l'infirmière. Celle-ci perdit aussitôt ses couleurs, optant pour une pâleur
inquiétante. Elle tenta soudain de prendre la fuite, mais Lara s'y
attendait. D'un mouvement preste, bien que ses jambes retrouvées soient
encore un peu faibles, elle dépassa l'infirmière et se plaça devant la
porte.
- Attendez, je peux vous expliquer... commença Nancy.
Folle de rage, Lara n'écoutait pas. Elle bondit sur l'infirmière et,
l'attrapant par le col, la jeta contre le mur, lui écrasant le visage
dessus. Elle glissa au sol, le nez ensanglanté. Lara la releva aussitôt,
sans précaution, et la posa violemment dans le fauteuil roulant. Attrapant
des sangles traînant non loin, elle attacha les poignets de l'infirmière.
Puis elle s'assit sur le lit, face à elle. Lara ne parlait pas, se
contentant de regarder Nancy fixement.
- S'il vous plait... gémit l'infirmière. Je peux vous expliquer. Parlez-moi.
Lara la gifla soudain à toute volée, la faisant éternuer du sang. Nancy
toussa, des larmes jaillissant de ses yeux.
- Où sommes-nous ? demanda enfin Lara, d'un ton neutre.
- Bucarest, en Roumanie, s'empressa de répondre l'infirmière.
- Vous êtes une vraie infirmière ?
- Oui ! J'ai été engagée par un homme pour m'occuper de vous, mais je ne
savais pas tout ça ! Je vous le jure.
Lara la gifla de nouveau, encore plus violemment.
- Pourtant, vous avez compris lorsque vous m'avez vu debout...
- Je n'ai fait que suivre des ordres, je vous jure ! gémit Nancy.
Lara resta silencieuse, se délectant de la peur de sa victime. Tout le
désespoir qu'elle avait ressenti ces dernières semaines remontait sous forme
de rage. Et par tous les saints, elle était au bord du suicide ! A cause
d'un immonde canular orchestré par Banks pour... Pour...
- Pourquoi ne pas m'avoir tuée ? demanda-t-elle soudain. Pourquoi Banks
a-t-il monté un plan aussi compliqué ?
- Je ne sais pas, je vous jure ! pleura Nancy.
- C'est une vraie clinique ?
- Non, c'est la dépendance d'une grande maison, dans la banlieue chic de
Bucarest.
- Gardée ?
- Un peu.
- Combien ?
- Ils sont quatre.
- Mes habits ?
- Dans la pièce à côté.
Dans un nouvel accès de colère, Lara gifla l'infirmière avec une telle
violence qu'elle s'écroula, emportant le fauteuil roulant avec elle. Elle
vérifia qu'elle était bien inconsciente et sortit de cette chambre maudite,
dans laquelle elle avait tant souffert moralement pendant de longues
semaines. Sa rage remonta, mais elle se força au calme : elle devait avoir
l'esprit clair pour se sortir de là. La porte de la chambre déboucha sur un
couloir mal entretenu, classique d'une vieille masure : le papier peint
était délavé, voire déchiré par endroit, et une odeur de moisi et de
renfermé assaillit Lara. Elle grimaça et entra dans la pièce suivante,
refermant derrière elle non sans jeter des regards suspicieux à l'extérieur.
Avec soulagement, elle trouva ses habits. Elle retira sa robe de chambre et
se vêtit rapidement : sous-vêtements, pantalon, pull, veste et chaussures
souples. Elle se sentit revivre. Elle sortit de la pièce et entreprit
d'arpenter le couloir en silence.
Elle évita soigneusement l'entrée principale de la demeure et sortit par une
fenêtre. Elle atterrit souplement dans l'herbe, à l'arrière, et entreprit de
contourner la maison en longeant la façade. Elle finit par tomber sur une
jeep stationnée face à la grille de sortie, gardée par un seul homme. Elle
regarda autour, sans voir personne d'autre. De toute façon, elle en était
arrivée à un point où elle aurait tout risqué pour quitter cet endroit qui
avait failli la pousser au suicide. Elle s'approcha donc à pas de loup du
garde, dans son dos, louchant sur l'arme à sa ceinture. Il finit par
l'entendre et se retourna, mais trop tard : Lara avait déjà saisi le
revolver et le pointait maintenant sur le front du garde.
- Pas un mot, dit-elle sèchement.
Le garde opina, levant les mains en l'air.
- Tu parles anglais ?
Il secoua négativement la tête, ce qui ne surprit pas vraiment la jeune
femme. Elle lui demanda, par geste, les clés de la Jeep. L'homme s'exécuta.
Puis elle le renvoya dans la maison, en le guidant de son arme. Une fois
qu'il se fut suffisamment éloigné, Lara bondit dans le véhicule, démarra en
trombe et quitta enfin ce sinistre manoir. Tout en fonçant en direction de
Bucarest, elle eut la satisfaction de retrouver ses papiers ainsi que son
téléphone cellulaire dans la poche de sa veste. Elle appela aussitôt chez
elle.
- Winston, c'est Lara... fit-elle.
Au bout du fil, le majordome eut un petit silence stupéfait. Lara sentit
l'émotion de son second père, mais il reprit rapidement le contrôle sur
lui-même, et c'est le Winston flegmatique qui reprit la parole quelques
secondes plus tard.
- Oui, Miss, content de vous entendre, fit-il d'un ton neutre.
- Ménagez les nerfs de Bryce, quand vous lui annoncerez.
- Bien évidemment. Quoi d'autre ?
- Et bien, j'aimerais que vous me les mettiez, lui et son équipement, dans
le prochain avion pour Bucarest. J'ai encore besoin de lui.
- Bien, Miss
- Je l'attendrais à l'aéroport.
- Bien. Vous allez bien, sinon ?
- On ne peut mieux, maintenant. Je vous raconterais tout en temps et en
heure. Mais pour l'instant, j'ai un certain nombre de choses à régler.
- Ne faites pas de bêtises, Lara.
- A bientôt.
Elle raccrocha. Réaffirmant sa prise sur le volant, elle accéléra, refoulant
les larmes qui lui montaient aux yeux. Banks l'avait rendue paraplégique.
Banks lui avait enlevé le plus important dans la vie d'une personne,
l'espoir. Banks l'avait poussée au suicide, et elle avait failli le faire.
Banks allait payer.
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